Nox Illuminata

Scénario de court métrage: "Le sacrifice"

Exergue en pré-générique

 

 

« Seule une révolution intérieure aura le pouvoir de guérir notre peuple de sa meurtrière maladie de haine sans fondement. Cette maladie qui ne peut que nous faire subir la ruine la plus complète.

Seulement alors les vieux et les jeunes de notre pays réaliseront combien est grave leur responsabilité envers ces malheureux réfugiés arabes, dans les villes desquels nous avons installé des Juifs qui ont été amenés de loin, dont nous avons hérité les maisons, dont nous plantons et moissonnons les champs, dont nous récoltons le fruit des jardins, des vergers et des vignobles, et auxquels nous avons dérobé les cités pour y dresser des bâtiments destinés à l’éducation, la charité, la prière, tout en babillant et nous enthousiasmant sur le fait que nous soyons le “peuple du livre” et la “lumière des nations”. »

 

Le philosophe Martin Buber (1878-1965), à l’adresse de ses concitoyens juifs, dans la publication périodique, Thud’s Ner, en 1961.

(traduction de Johnny Karlitch)


Synopsis du court métrage, "Le sacrifice"

 

 

 

 


 

              Photo © Johnny Karlitch 2011

 

Un court métrage de fiction

écrit et réalisé par

Johnny Karlitch

 

(titre provisoire)

« Le sacrifice »

 

Synopsis

 

   Une relation, transcendant notre espace-temps, s’établit entre un garçon de neuf ans, Juif déporté dans un train vers un camp de concentration nazi, en 1943, et un Palestinien militant, père d’un garçon de neuf ans, vivant à Gaza, en 2008.

 

   Le “contact” s’établit sur le plan onirique: les rêves du Palestinien sont hantés par le visage, les yeux, l’appel de détresse muet du garçon juif.

 

   Le Palestinien est bouleversé. Il entame des recherches sur l’histoire des deux peuples, remet en question sa vision du monde, notamment après avoir rencontré un vieux Palestinien revenu de tout.

 

   Nuit après nuit, dans cette dimension onirique, des visions tragiques de la Shoah et de la Naqba s’entremêleront, se fondront les unes dans les autres.

 

   Une nuit, le Palestinien se met au lit en tenue militaire, avec toute sa panoplie de combattant. Il s’endort.

 

   Il est “transporté” dans le camp de concentration, la nuit, en plein milieu du “rituel” de sélection des déportés: hommes et femmes valides pour le camp de travail; invalides, femmes enceintes, vieillards, enfants pour les chambres à gaz.

Il attaque alors les Nazis, est mortellement blessé, mais réussit à sauver le garçon juif. Celui-ci le contemple longuement, puis s’enfuit.

 

   A Gaza, le Palestinien est porté disparu. Comme ses armes et sa tenue ont disparu aussi, on le considère martyr de la Cause.

 

   A Jérusalem, un septuagénaire, flanqué d’une escorte impressionnante, provoque une rencontre avec la femme et le fils du Palestinien.

Quand la femme lui montre la photo du Palestinien “disparu”, le vieux monsieur se revoit en petit garçon, agenouillé près de son sauveteur agonisant, dans le camp de concentration nazi, il y a plus de soixante ans ans.

  

   Le vieux monsieur, qui s’avère être le Premier ministre israélien, serre le petit Palestinien contre lui. Des larmes perlent à ses yeux.

 

   Le mur de séparation en Cisjordanie…

Des explosions, l’une après l’autre, le détruisent.

 

Beyrouth, août 2004

© Johnny Karlitch


21/09/2011
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Scénario du court métrage, "Le sacrifice" (partie 1/3)

Scénario de court métrage de fiction

écrit et réalisé par Johnny Karlitch

 

(titre provisoire)

« Le sacrifice »

 

   (en sous-titre : « Bande de Gaza, l’an 2008 »)

   On distingue dans la pénombre un visage d’enfant, aux yeux écarquillés. Par intermittence, un faible éclair de lumière passe sur ce visage, dévoilant des joues creuses, de gros cernes, des taches de crasse.

On sent qu’il n’est pas seul, qu’il est dans un lieu bondé de personnes, clos, étouffant.

L’ambiance est houleuse, que ce soit par le mouvement à l’intérieur du cadre comme si on était sur un bateau ou un train, ou par le maelström de sons : bruit sourd de moteur, bruits répétitifs d’acier contre acier, bruits secs accompagnant des soubresauts, voix humaines geignant, pleurant, souffrant, criant…

Et, au milieu de cette sombre cacophonie d’angoisse, les yeux fixes du garçon, hypnotiques.

Soudain, le visage de l’enfant disparaît, et apparaît celui d’un homme de quarante ans, à barbe légère, endormi, mais baignant lui aussi dans la même ambiance sonore.

A ses côtés dans le lit, une femme, brune, la trentaine, qui dort aussi.

Retour sur le visage de l’homme endormi : son sommeil est agité, il transpire. On se rapproche lentement de lui et le visage de l’enfant vient se superposer au sien.

Un soubresaut, un cri.

L’homme ouvre les yeux.

Sa femme, déjà réveillée et accoudée, se penche sur lui. Il la regarde.

Elle lui caresse tendrement le visage, essuyant sa sueur.

L’homme :

- Ali ?

La femme, murmurant :

- Ça va, tout va bien, mon amour. Ali dort, tout va bien.

Elle l’embrasse et se recouche.

L’homme se redresse, s’assoit un moment sur le bord du lit.

Il se lève et va dans une chambre voisine, en boitant. Un large bandage entoure sa cuisse droite dévoilée par un short. Il observe intensément un jeune garçon de neuf ans qui dort paisiblement.

L’homme est à la cuisine. Il boit de l’eau à même la bouteille.

Il s’allonge auprès de sa femme, qui se blottit contre lui.

 

   On a une vue plongeante sur des enfants qui jouent, par groupes, dans un terrain. Leurs cris sont lointains.

On entend une voix bien plus proche, une voix de femme qui appelle :

- Mahmoud… Mahmoud !

Appuyé contre le rebord d’une fenêtre d’où l’on voit les enfants jouer dans le terrain, Mahmoud se retourne (c’est l’homme que nous avons déjà vu).

Mahmoud regarde sa femme, l’air interrogateur.

Debout, à l’entrée de la pièce (sorte de bureau-salle de séjour), la femme (c’est la femme que nous avons déjà vue) regarde dans la direction d’une table où est déposé un plateau.

La femme :

- Ton petit-déjeuner va refroidir.

Avec un sourire embarrassé, Mahmoud se dirige en boitant vers la table et s’assied.

Sa femme s’est approchée elle aussi et s’assied près de lui.

Mahmoud porte une tasse de thé à sa bouche. Il fait une grimace.

Mahmoud : - Il est froid !

Puis, regardant tendrement sa femme :

- Sarah, je t’aime.

Sarah :

- Tu es tout bizarre, mon amour. C’est l’inaction qui ne te va pas du tout.

En disant cela, elle pose doucement la main sur le bandage de la cuisse droite de l’homme.

Mahmoud :

- Peut-être…

Sarah :

- Je suis heureuse de t’avoir à moi, toute seule. La Palestine peut attendre…

Mahmoud, posant un doigt sur les lèvres de Sarah :

- Chhhut !

 

   On entend l’ambiance sonore du premier rêve et l’on survole le “paysage” désolé - crevasses, fissures, cratères… - d’un mur, pour arriver au visage de Mahmoud qui dort. On se rapproche lentement de son visage, de ses yeux, et apparaissent les yeux grands ouverts du garçon de neuf ans du premier rêve.

Toujours cette impression d’enfermement dans une boîte obscure et étouffante, mais le bruit de moteur semble bien être celui d’un train et de ses wagons roulant sur un chemin de fer.

Le visage de Mahmoud endormi s’agite.

Du wagon dont on ne voit qu’un seul occupant, le garçon, et dont on devine les autres, jaillit un long cri déchirant.

Le visage de Mahmoud transpirant.

Aux visages du garçon et de Mahmoud, se superposent des “scènes” infamantes, dégradantes, tragiques, de la Shoah.

Le visage de Mahmoud contracté de grimaces.

Les yeux hypnotiques du garçon dans le wagon.

 

   Sarah se réveille.

Le lit est vide à côté d’elle.

Elle se lève.

Elle déambule dans la maison et découvre Mahmoud dans la chambre du petit Ali : Mahmoud dort ; Ali aussi, sa tête reposant sur la poitrine de son père.

 

   Mahmoud est assis derrière son bureau.

Pensif, son regard s’envole par delà la fenêtre.

Mahmoud se revoit dans une opération commando. L’accrochage est violent, se déroulant à un rythme d’enfer, dépassant les capacités de réflexe des combattants. Mahmoud est blessé à la cuisse droite. Un militant l’aide à se dégager du champ de bataille.

Retour sur Mahmoud dans la pièce bureau-salle de séjour. Il se lève lentement et se dirige d’un pas fatigué vers sa bibliothèque, un petit meuble à trois rayonnages contenant une trentaine de livres en arabe, et encombré surtout de bibelots. Mahmoud farfouille, prend quelques bouquins qu’il feuillette hâtivement, et remet en place. L’insatisfaction se lit sur son visage.

 

   L’écran d’un ordinateur affichant un moteur de recherche sur Internet.

Quelqu’un saisit le mot “Shoah” dans la case de recherche et clique sur “OK”.

Bientôt, apparaissent une liste de sites pertinents. Les pages de ces sites sont successivement ouvertes et, selon le degré d’opacité de l’image, on aperçoit dans l’écran le reflet du visage de Mahmoud, superposé aux images et textes se rapportant au génocide du peuple juif.

Sa recherche terminée, Mahmoud quitte l’ordinateur. Il se trouve dans un cybercafé fréquenté surtout par des jeunes, dont quelques-uns le saluent respectueusement pendant qu’il s’en va.

 

   Au volant de sa voiture de petite cylindrée, usée, Mahmoud roule sur une route de campagne. A faible vitesse, apparemment sans but précis.

A quelques dizaines de mètres à sa gauche défile un interminable mur de barbelés.

Après un certain temps, Mahmoud repère une silhouette, loin devant sur la route. Au fur et à mesure qu’il s’en rapproche, la silhouette se précise : un vieux Palestinien marchant à petits pas, la tête recouverte d’un keffieh.

Mahmoud ralentit et s’arrête à la hauteur du vieillard. Celui-ci aussi s’est arrêté, dévisage un instant Mahmoud, puis s’approche à son rythme de la voiture. Il pose la main sur le rebord de la portière côté passager.

Le vieillard :

- Vous avez l’air perdu…

Un instant décontenancé par la remarque du vieux, Mahmoud se reprend et lui sourit :

- Vous allez quelque part ?

Le vieux, tendant vaguement la main :

- Là-bas.

Mahmoud regarde dans cette direction indéfinie, puis regarde le vieux :

- Montez, je vous accompagne.

Le vieux :

- Allons-y !

Le vieux ouvre la portière, s’installe très lentement, puis regarde Mahmoud et dit pour la deuxième fois :

- Allons-y !

Mahmoud :

- Il faut refermer la portière.

Le vieux a un petit sursaut :

- Ah ! mais oui… Bien sûr.

Le vieux tend la main vers la portière qu’il referme et en profite pour s’installer plus confortablement.

Mahmoud :

- Allons-y ?

Le vieux, avec un sourire de vieux :

- Allons-y !

La voiture roule.

 

Le vieux :

- Comment vous vous appelez ?

Mahmoud :

- Mahmoud Berra. Abou Ali.

Le vieux approuve d’un signe de tête et dit :

- Moi, c’est Abou Leyla.

Mahmoud lui jette un coup d’œil et le vieux explique :

- Le Créateur m’a donné un enfant unique, une fille. Alors, j’aime qu’on m’appelle Abou Leyla.

La voiture roule, le paysage judéen défile.

Après un long silence, Mahmoud demande :

- Abou Leyla, vous étiez en Palestine en 1948 ?

Abou Leyla, en regardant droit devant lui (avec un ton emphatique) :

- Ah, 1948 ! L’année de tous nos malheurs ! Une grande tragédie pour notre peuple !

Abou Leyla regarde Mahmoud qui semble en attendre plus.

Abou Leyla :

- Eh bien, non ! Ni 48, ni 67, ni 82 ! Il n’y a pas de dates fatidiques, et tout est encore possible ! Que veux-tu que je te dise à propos de 48 ? Que nous n’étions pas préparés, que notre armée n’était ni équipée ni motivée ! Que nos “frères” arabes n’avaient aucune stratégie commune ! Rien que des intérêts particuliers ! Qu’en face de nous, il y avait un peuple déterminé à se construire un pays, coûte que coûte ! un mouvement sioniste qui a su établir de solides relations avec les grandes nations ! Et puis, il y a eu les massacres ! Des villages entiers ! Si je te dis que nous sommes alors partis parce que nous en avons été chassés, et que les Juifs ont ainsi remporté la victoire, qu’est-ce que ça changera pour toi ? Tu sais bien que depuis 48 jusqu’à nos jours, l’Israélien traite le Palestinien comme un citoyen de deuxième catégorie, comme un être de race inférieure, qu’il le parque dans des ghettos en lui reniant ses droits, exactement comme le Nazi l’a fait avec lui dans les années trente et quarante. Moi, je veux voir au-delà de tout ça, je veux voir un peuple qui a souffert une tragédie horrible, sans précédent, l’Holocauste, ou la Shoah comme ils le disent, et je veux voir un autre peuple qui a aussi souffert une horrible tragédie, que nous appelons Naqba. Pour moi, Naqba = Shoah ! Et je te demande de penser, toi et tous ceux de ta génération, à un moyen qui rapproche ces deux peuples. Il nous faut des êtres providentiels, exceptionnels, qui retrouvent le vrai sens du mot sacrifice.

Le vieux s’arrête de parler. Mahmoud continue à conduire en silence.

La route, le paysage, le silence des deux.

Le vieux :

- Bon, je descends ici.

Mahmoud, après avoir jeté un regard circulaire sur le paysage, toujours désert :

- Ici !

Mahmoud stoppe la voiture.

Le vieux commence à débarquer lentement.

Debout, près de la portière qu’il referme, le vieux dit :

- Moi, je suis arrivé. Toi, tu continues.

Le vieux referme la portière et s’en va à petits pas sur la route.

Mahmoud redémarre en suivant des yeux le vieillard, puis en continuant à le regarder dans le rétroviseur.

La silhouette du vieux rétrécit progressivement.

Mahmoud jette un dernier coup d’œil sur le rétroviseur. Il sursaute et arrête le moteur.

Le vieux a disparu du champ du rétroviseur.

Mahmoud observe la route derrière lui.

Il finit par repérer le vieux, trottinant dans la lande.

(à suivre)

 

© Johnny Karlitch 2004

 


21/09/2011
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Scénario du court métrage, "Le sacrifice" (partie 2/3)

   

Photo © Johnny Karlitch 2011

 

 

 

Scénario de court métrage de fiction

écrit et réalisé par Johnny Karlitch

 

(titre provisoire)

« Le sacrifice »

 

 

   Un groupe de soldats nazis enfonce la porte d’une maison marquée d’une étoile de David tracée à la peinture.

Trois soldats y pénètrent et, après quelques instants dominés par des cris et des plaintes, en ressortent, poussant devant eux un homme accompagné d’un garçon, une femme portant un bébé, une fillette cramponnée à elle, un vieil homme et une vieille femme, enfin un jeune homme.

Un soldat tue d’une balle de mitraillette le garçon. Le père l’attaque, mais il est stoppé par un coup de pistolet tiré par un autre soldat. La femme, horrifiée, crie et pleure. Un soldat lui arrache son bébé des bras. Elle hurle mais un autre soldat lui enfonce sa baïonnette dans le ventre. La fillette pleure, accrochée à sa mère qui s’affale. Le soldat au bébé empoigne son poignard et le jeune homme s’élance. Il est cueilli par une rafale qui atteint aussi la vieille femme. Elle tombe dans les bras du vieil homme. Le jeune homme gît au sol. Le bébé aussi, égorgé.

Les soldats s’en vont.

Le vieil homme se détache de l’étreinte de sa femme morte et se dirige à quatre pattes vers la fillette, qu’il prend dans ses bras et berce. Une rafale retentit. Le vieux et la fillette s’abattent.

On découvre que Mahmoud a assisté à toute la scène, caché derrière un muret, le désespoir de l’impuissance s’exprimant dans son visage et ses mouvements.

Mahmoud court comme un dératé, des larmes de sang noir lui coulant des yeux. Ses mains sont tachées de sang.

Soudain, une vision le fait se figer.

Un groupe de militaires israéliens des années 40 enfonce la porte vermoulue d’une maison de paysans.

Trois soldats y pénètrent et, après quelques instants dominés par des cris et des plaintes, en ressortent, poussant devant eux un homme accompagné d’un garçon, une femme portant un bébé, une fillette cramponnée à elle, un vieil homme et une vieille femme, enfin un jeune homme (tous des Palestiniens, d’après leurs vêtements).

Un soldat tue d’une balle de mitraillette le garçon. Le père l’attaque, mais il est stoppé par un coup de pistolet tiré par un autre soldat. La femme, horrifiée, crie et pleure. Un soldat lui arrache son bébé des bras. Elle hurle mais un autre soldat lui enfonce sa baïonnette dans le ventre. La fillette pleure, accrochée à sa mère qui s’affale. Le soldat au bébé empoigne son poignard et le jeune homme s’élance. Il est cueilli par une rafale qui atteint aussi la vieille femme. Elle tombe dans les bras du vieil homme. Le jeune homme gît au sol. Le bébé aussi, égorgé.

Les soldats s’en vont.

Le vieil homme se détache de l’étreinte de sa femme morte et se dirige à quatre pattes vers la fillette, qu’il prend dans ses bras et berce. Une rafale retentit. Le vieux et la fillette s’abattent.

A travers ses yeux injectés de sang noir, Mahmoud a assisté à toute la scène. Impuissant, il se débat contre le muret derrière lequel il est caché, le maculant de traînées de sang noir avec ses mains.

Mahmoud court à perdre haleine dans l’obscurité de la nuit et voit venir vers lui, de droite et de gauche, deux êtres. Quand ils s’approchent, Mahmoud reconnaît la Juive avec son bébé mort, et la Palestinienne avec son bébé mort.

Elles s’arrêtent devant Mahmoud, et chacune se lamente, le prenant à témoin de sa détresse, se bousculant presque pour accaparer l’attention de Mahmoud.

Des deux bébés, le sang coule à flots, se répand sur la terre où il coule en deux rigoles distinctes.

Mahmoud suit à pied le cours des deux ruisseaux de sang qui, bientôt, se rejoignent pour former un seul cours qui s’éloigne de Mahmoud qui est à genoux.

Une lumière éblouissante jaillit devant lui, prenant sa source du sang.

 

   Mahmoud ouvre les yeux. Ils sont pleins de larmes. A ses côtés dans le lit, Sarah dort. Il se redresse lentement et la contemple.

Il se lève avec précaution et se dirige vers la chambre de son fils.

Dans la chambre, il s’assied sur le sol, près du lit de Ali, et le contemple, les yeux toujours mouillés.

 

   Mahmoud roule sur cette route traversant la lande où il avait rencontré le vieux Abou Leyla.

Mahmoud a beau scruter les alentours, il ne trouve pas ce ou celui qu’il cherche.

 

   Mahmoud se trouve dans une mosquée.

Il s’accroupit, s’agenouille et baisse la tête jusqu’au sol.

 

   Mahmoud relève la tête.

Il se trouve dans sa salle de séjour, à genoux, en train de prier. C’est la nuit.

Sa prière terminée, il reste immobile, songeur.

 

# C’est le jour. Près d’un taxi en arrêt, Mahmoud fait ses adieux à Sarah et Ali.

Mahmoud :

- Ali, tu donneras une très grosse bise à tante Soraya. Et amuse-toi bien avec Tarek !

Ali embarque dans le taxi et Mahmoud se tourne vers sa femme.

Sarah :

- Tu sais que je n’aime pas m’éloigner de toi.

Mahmoud, lui prenant le visage entre ses mains :

- Mais ce n’est que deux jours. Ça passera vite, et puis ta sœur, elle habite à vingt minutes d’ici, s’il y a une urgence… Alors, ne t’inquiète pas. Mais ce que j’ai à faire réclame de la discrétion. Il faut donc que je reste seul à la maison. Je ne peux pas t’en dire plus. Fais-moi confiance et surtout ne t’inquiète pas. N’oublie jamais que tu es l’amour de ma vie, ma Sarah sourire de mon âme.

Sarah lui sourit et l’embrasse en le serrant fortement contre elle.

Sarah :

- A bientôt mon amour.

Mahmoud :

- Je t’aime…

Sarah embarque dans le taxi.

Le taxi démarre.

Par la fenêtre arrière, Sarah articule muettement :

- Je t’aime…

Ali fait des signes d’au revoir de la lunette arrière.

Mahmoud regarde disparaître le taxi. #

 

Dans sa salle de séjour, la nuit, Mahmoud sort de son état de songerie et se relève.

Mahmoud (à lui-même) :

- Il est temps !

Il se dirige vers une armoire à deux battants, les ouvre, et s’accroupit pour ouvrir deux tiroirs inférieurs. Il plonge la main à l’intérieur de chacun d’eux pour faire actionner un mécanisme qui lui permet de retirer complètement les deux tiroirs, qu’il dépose par terre. Plongeant le bras à l’intérieur de la cavité, il en fait sortir une grosse et longue valise en tissu imperméable vert sombre et la fait glisser jusqu’au milieu de la pièce. Il ouvre le zipper et se met à déballer les objets contenus dans la valise : un fusil mitrailleur, un pistolet équipé d’un silencieux, des chargeurs, quatre grenades, un poignard de commando, un casque, un keffieh…

Mahmoud commence à s’équiper lentement, minutieusement.

Le rituel accompli, armé jusqu’aux dents, il se tourne vers la fenêtre pour contempler la ville et respirer de l’air frais.

Ensuite, il se dirige vers la chambre à coucher et, tout vêtu et équipé, il s’allonge sur le lit.

Mahmoud ferme les yeux. Il les rouvre de temps en temps, mais le sommeil finit par le gagner et il s’endort.

Mahmoud débarque soudainement, de nuit, dans un lieu inconnu, désespérément plat, cerné d’une clôture de barbelés. Il se met à plein ventre et inspecte les environs.

A vingt, trente mètres de lui, un mirador en bois, abritant un soldat nazi armé, actionnant dans une rotation uniforme un projecteur qui éclaire les alentours.

Mahmoud porte ses lunettes à infrarouge, fait un tour d’horizon : pas d’autres soldats en vue. Il rampe en direction du mirador mais s’arrête pour palper sa jambe droite : elle a recouvré toute sa souplesse. Mahmoud n’a pas le temps de s’en étonner et reprend son rampement pour s’arrêter à quelques mètres du mirador. Sortant précautionneusement son pistolet à silencieux, il vise le Nazi, appuie sur la détente, et le soldat s’affale sans un bruit à l’intérieur de son poste d’observation.

Bientôt, Mahmoud entend le bruit caractéristique d’un train entrant en gare.

Il s’avance, dos courbé, dans la direction du bruit.

Des barbelés bloquent son avance. Les fils sont électrifiés.

Mahmoud retire d’une gaine collée à sa cheville des cisailles aux manches isolants et se met à couper fil de barbelé après fil de barbelé, dégageant une ouverture à sa taille. Il traverse le grillage en rampant et court vers le bâtiment de la gare.

Accolé au bâtiment, un autre mirador dont le faisceau lumineux est pour le moment braqué sur la plateforme de débarquement.

Mais cette fois-ci, le soldat de faction étant invisible du bas, Mahmoud dépose au sol son fusil mitrailleur, rengaine son pistolet, et entame la lente montée du mirador. Il arrive au faîte et voit le soldat nazi, le dos tourné.

Un craquement sous le pied de Mahmoud.

Le soldat se retourne, sans inquiétude.

Mahmoud ne lui laisse pas le temps de réagir : il a déjà sauté sur le Nazi tout en dégainant son poignard. La lutte est féroce et brève. Mahmoud abat efficacement et sans bruit notable le guetteur.

Maintenant, Mahmoud peut surveiller la gare et le débarquement des “passagers”.

Les Juifs déportés descendent des wagons de marchandise, hagards, pâles, crasseux, affaiblis. Certains portent  des cadavres, d’autres des malades. Tout ce monde est bousculé sans ménagement par les Nazis, dont certains excitent les chiens qu’ils tiennent en laisse contre les prisonniers.

Les hommes et les femmes sont séparés en deux groupes, et chaque groupe divisé en rangées de cinq, les unes derrière les autres.

Un ordre est donné et les détenus s’avancent, surveillés au passage par des officiers. Ceux-ci, repérant les invalides, les malades, les femmes enceintes, les enfants de moins de quinze ans, les vieillards, leur ordonnent de s’arrêter. Bientôt, il ne reste plus sur le quai que ces êtres choisis pour leur “handicap”.

De haut de son mirador, Mahmoud repère le garçon de neuf ans qui hantait ses rêves. Etrangement, celui-ci a les yeux levés, regardant fixement Mahmoud.

Mahmoud descend du mirador (à ce stade, le spectateur sait que les Juifs “handicapés” étaient aussitôt conduits aux chambres à gaz, puisqu’il a eu cette information antérieurement, lorsque Mahmoud faisait sa recherche sur Internet. De même, c’est à ce moment que le spectateur comprend que le garçon des rêves de Mahmoud est un Juif, victime des Nazis, et qu’il y a eu donc un « “voyage” dans le temps », jusqu’aux années 40).

(à suivre)

 

© Johnny Karlitch 2004


21/09/2011
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Scénario du court métrage, "Le sacrifice" (partie 3/3)

Photo © Johnny Karlitch 2011

 

 

 

Scénario de court métrage de fiction

écrit et réalisé par Johnny Karlitch

 

(titre provisoire)

« Le sacrifice »

 

 

A l’affût du moindre danger, Mahmoud se glisse dans l’ombre, contourne le bâtiment et se rapproche du quai par l’arrière. Les déportés “handicapés” et leurs gardiens, lui tournant le dos, sont à une trentaine de mètres de lui.

Maintenant, Mahmoud rampe.

Soudain, un chien aboie dans sa direction. Alerté, son maître donne du mou à la laisse et se laisse guider par le chien.

Mahmoud est à découvert. Il n’a plus le temps de se remettre à l’abri du bâtiment. Complètement aplati, il voit venir le Nazi et son chien.

Figé, Mahmoud les voit s’approcher lentement, très lentement, mais inexorablement.

Il dégaine calmement son pistolet à silencieux, l’amène à hauteur de ses yeux et appuie sur la détente.

Le Nazi s’effondre et le chien n’en devient que plus excité. Il bondit en avant, arrachant la laisse de la main du soldat mort, et Mahmoud l’arrête d’une balle. 

L’incident n’a pas alerté les autres soldats : deux à mi-longueur du groupe des déportés “handicapés”, deux autres en tête.

Mais un remue-ménage en résulte au sein des rangées arrière de déportés. Quelques déportés s’enhardissent, quittent les rangs et se dirigent vers le lieu de l’accrochage, appelant des mains des sauveteurs imaginaires. Parmi eux, le petit Juif de neuf ans.

Accroupi, fusil mitrailleur chargé, Mahmoud est crispé.

La débandade à l’arrière a alerté les deux gardes du milieu qui se mettent à tirer à l’aveuglette, fauchant quelques déportés qui tombent.

Mahmoud riposte, tue un soldat dans sa ligne de mire. Puis, il sort une grenade, la dégoupille et, se relevant, la lance loin en avant, du côté des rails du chemin de fer.

Pendant que les soldats s’abritent et tirent en direction de l’explosion, Mahmoud s’élance pour intercepter le petit Juif de neuf ans, qui accourait vers lui.

Mahmoud le porte sur un bras et détale en direction du grillage intérieur. Il repère l’ouverture qu’il avait pratiquée, pose le garçon à terre.

Et une rafale lui lacère le dos.

Un instant tétanisé de douleur et de stupeur, Mahmoud pousse le garçon dans l’ouverture, s’agenouille, se retourne et riposte en tuant son agresseur qui avait surgi par derrière le bâtiment de la gare.

Mahmoud traverse à son tour l’ouverture et indique à l’enfant le grillage extérieur. Les deux courent, mais Mahmoud, à grand-peine.

A mi-chemin, Mahmoud s’arrête, essoufflé, bavant du sang. Le garçon aussi s’est arrêté.

Mahmoud lui intime l’ordre de s’aplatir. Il sort une grenade, la dégoupille et la jette en direction des barbelés.

La grenade explose, cisaillant les barbelés.

Mahmoud s’affale sur le côté, puis sur le dos. Il a le regard vitreux. Il parvient à sourire à l’enfant agenouillé à ses côtés et lui indique du doigt l’ouverture.

Mahmoud :

- Run, run away ! quick… Go ! Go ! (Sauve-toi !)

Le garçon le regarde longuement une dernière fois et se sauve dans l’obscurité.

 

   Le lit de Mahmoud et Sarah, chiffonné et vide.

C’est la nuit. Puis, le matin se lève. Le jour passe, et vient la seconde nuit. Enfin, le nouveau matin se lève sur le lit toujours vide et chiffonné.

On entend la porte de la maison qui s’ouvre.

On entend une voix de femme.

Sarah :

- Nous sommes revenus.

Silence, bruit de pas.

On entend Sarah :

- Mahmoud, tu m’as entendue ?

Le bas du corps de Sarah entre dans le “champ” du lit. Elle reste immobile. On la devine perplexe.

Sarah sort du cadre.

On voit toujours le lit et on entend Sarah qui cherche précipitamment dans toute la maison. On la devine inquiète. On l’entend s’adresser à Ali, lui demander d’aller voir chez les voisins; non ! elle ira elle-même; plutôt, elle va téléphoner à Abou Kassem, c’est son meilleur ami, il saura…; mais il avait affirmé qu’il ne sortirait pas de la maison; où est-il allé ? où a-t-il mangé ? les plats qu’elle avait préparés sont tels quels dans le frigo; Mahmoud, Mahmoud, tu te caches, n’est-ce pas ! arrête, c’est pas amusant, ce jeu ! Mahmoud !… Allo, Abou Kassem ?

Mahmoud est allé chez toi ?… Oh non ! Abou Kassem… son sac est vide ! Il a tout pris ! Dis-moi la vérité, il avait une mission ?

Entre-temps, le petit Ali est venu s’asseoir sur le lit de ses parents. Il caresse le coussin de son père. Puis, il y repose la tête.

 

   Dans la salle de séjour, Sarah, triste et l’air accablée, est assise en compagnie d’un homme à la cinquantaine.

L’homme :

- Nous avons la certitude qu’il n’a pas été kidnappé ni fait prisonnier par ces fils de pute de sionistes. Mais par ailleurs, sept jours ont passé et aucun organisme militaire ou autre n’a encore revendiqué son assassinat…

Sarah :

- Abou Kassem, ils peuvent garder secret le fait qu’il est prisonnier…

Abou Kassem :

- Pourquoi ?

Sarah :

- Je ne sais pas, je ne sais pas… Peut-être pour le monnayer contre un Israélien prisonnier ! Ou bien, ils vont demander une rançon.

Abou Kassem :

- Sarah, autant que toi, j’aurais aimé qu’il soit sain et sauf. Mais mon expérience me dit que ce n’est pas le cas.

Sarah, pleurant :

- S’il est mort, je veux voir une dernière fois son corps. Je dois l’enterrer…

Abou Kassem la laisse assouvir son désespoir. Il se lève et va vers la fenêtre. Après quelques instants, il demande :

- Je sais que Mahmoud  et toi, vous vous entendiez bien. Mais est-ce que vous avez eu une dispute dernièrement, un désaccord ?

Sarah, refoulant ses larmes, très digne :

- Mahmoud et moi, nous nous aimons. Et notre complicité est le gage de notre couple. Non, Mahmoud n’a pas fait de fugue. Parce que tout va très bien entre nous. Et puis, il adore Ali. Non, Abou Kassem, cherche ailleurs…

Abou Kassem hoche la tête.

 

   Des adolescents en tenue de milicien collent sur les murs de la ville les affiches portant la photo de Mahmoud et l’inscription « Martyr de la Cause ».

 

   Sarah se morfond dans son lit, la nuit.

Elle gémit, pleure, écarte les jambes comme si elle allait accoucher. Elle presse son ventre des deux mains et étouffe un cri. Elle halète, transpire, délire…

 

   Sarah est au téléphone.

Elle s’adresse à un interlocuteur quelconque.

Sarah :

- Ali et moi partons à Jérusalem. Je l’emmène à la mosquée Al Aqsa. Je sais que c’est ce que Mahmoud aurait aimé faire… 

 

(en sous-titre : « Jérusalem, l’an 2008 »)

   Sur le parvis du Mur des lamentations, des soldats israéliens gardent les issues.

Un septuagénaire de belle prestance, flanqué d’une escorte impressionnante de gardes du corps et d’assistants s’éloigne du mur.

Le groupe traverse la ceinture de militaires.

Le septuagénaire repère un petit garçon et une femme (Ali et Sarah) marchant hâtivement, loin devant le groupe.

Il semble écouter ce qui lui débite l’une de ses assistantes, mais son regard reste fixé sur le petit garçon.

Ali, lui, se retourne fréquemment pour regarder ce vieil homme important.

Le vieux dignitaire presse subitement le pas. Toute l’escorte suit son rythme.

Le vieux monsieur est sur le point de rejoindre la femme et le garçon. Il donne des ordres au chef des gardes pour qu’on ne les importune pas.

Sarah, impressionnée par l’homme et son escorte, s’arrête, abritant son fils contre elle.

Le vieux monsieur s’arrête, l’escorte aussi, qui entoure presque Sarah et Ali.

Le vieux dignitaire observe longuement Ali.

Le vieux dignitaire :

- C’est ta maman ?

Ali affirme en hochant la  tête.

Le vieux dignitaire :

- (à Sarah) Bonjour, madame. (à Ali) Ton père, il n’est pas avec vous ?

Sarah serre un peu plus Ali contre elle et dirige sa main libre vers son sac en bandoulière. Aussitôt, l’un des gardes lui immobilise la main et lui ôte son sac; un autre s’interpose entre Sarah et le vieux dignitaire.

Le vieux dignitaire a un petit geste apaisant de la main à l’adresse des gardes.

Le vieux dignitaire (durement) :

- Que voulez-vous me montrer ?

Sarah :

- Une photo.

Pendant ce temps, le premier garde a retiré du sac de Sarah un papier plié en quatre. Il déploie la photo de Mahmoud (une affichette).

Avec désespoir et agressivité, Sarah la prend d’un coup sec et la brandit, la main tremblante.

Sarah :

- Voici son père, vous l’avez tué !

Le vieux monsieur contemple longuement, en silence, la photo de Mahmoud.

L’escorte est silencieuse; la perplexité a remplacé la dureté sur le visage de Sarah.

Le vieux monsieur ferme les yeux.

 

#Dans le camp de concentration nazi, on revoit le garçon juif agenouillé près de son sauveur.

Mahmoud agonise. Faiblement, il retire de sa poche une petite photo et la glisse dans la main de l’enfant.

L’enfant regarde la photo : c’est le portrait de Ali.

L’enfant fixe Mahmoud intensément.

Mahmoud parvient à sourire faiblement, puis ferme définitivement les yeux.

Le garçon juif a des larmes aux yeux.#

 

On voit le vieux dignitaire rouvrant les yeux.

Il s’accroupit devant Ali.

L’un des assistants se penche à l’oreille du vieux dignitaire.

L’assistant (en hébreu) :

- Monsieur le Premier ministre, votre rendez-vous…

On voit le Premier ministre de dos. Il a un geste sec de la main.

Le Premier ministre (en hébreu) :

- Eloignez-vous ! Tous !

Le Premier ministre (toujours de dos) relève la tête vers Sarah qui relâche son étreinte sur Ali, et regarde à nouveau Ali. Il pose lentement ses mains sur les épaules du garçon, puis le serre contre sa poitrine.

On voit le visage du Premier ministre. Ses yeux sont emplis de larmes.

 

   Le mur de séparation en Cisjordanie.

Des explosions, l’une après l’autre, le détruisent.

Les gravats, les moellons voltigent contre le ciel au ralenti…

Puis, des armes, des dizaines, des centaines d’armes, qui volent aussi, pour exploser au ralenti contre un ciel radieux.

 

© Johnny Karlitch - 2004

(Ce scénario libre de droits est à la disposition du cinéaste qui le réaliserait ou du créateur de BD qui le dessinerait) 


22/09/2011
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