Nox Illuminata

Scénario du court métrage, "Le sacrifice" (partie 3/3)

Photo © Johnny Karlitch 2011

 

 

 

Scénario de court métrage de fiction

écrit et réalisé par Johnny Karlitch

 

(titre provisoire)

« Le sacrifice »

 

 

A l’affût du moindre danger, Mahmoud se glisse dans l’ombre, contourne le bâtiment et se rapproche du quai par l’arrière. Les déportés “handicapés” et leurs gardiens, lui tournant le dos, sont à une trentaine de mètres de lui.

Maintenant, Mahmoud rampe.

Soudain, un chien aboie dans sa direction. Alerté, son maître donne du mou à la laisse et se laisse guider par le chien.

Mahmoud est à découvert. Il n’a plus le temps de se remettre à l’abri du bâtiment. Complètement aplati, il voit venir le Nazi et son chien.

Figé, Mahmoud les voit s’approcher lentement, très lentement, mais inexorablement.

Il dégaine calmement son pistolet à silencieux, l’amène à hauteur de ses yeux et appuie sur la détente.

Le Nazi s’effondre et le chien n’en devient que plus excité. Il bondit en avant, arrachant la laisse de la main du soldat mort, et Mahmoud l’arrête d’une balle. 

L’incident n’a pas alerté les autres soldats : deux à mi-longueur du groupe des déportés “handicapés”, deux autres en tête.

Mais un remue-ménage en résulte au sein des rangées arrière de déportés. Quelques déportés s’enhardissent, quittent les rangs et se dirigent vers le lieu de l’accrochage, appelant des mains des sauveteurs imaginaires. Parmi eux, le petit Juif de neuf ans.

Accroupi, fusil mitrailleur chargé, Mahmoud est crispé.

La débandade à l’arrière a alerté les deux gardes du milieu qui se mettent à tirer à l’aveuglette, fauchant quelques déportés qui tombent.

Mahmoud riposte, tue un soldat dans sa ligne de mire. Puis, il sort une grenade, la dégoupille et, se relevant, la lance loin en avant, du côté des rails du chemin de fer.

Pendant que les soldats s’abritent et tirent en direction de l’explosion, Mahmoud s’élance pour intercepter le petit Juif de neuf ans, qui accourait vers lui.

Mahmoud le porte sur un bras et détale en direction du grillage intérieur. Il repère l’ouverture qu’il avait pratiquée, pose le garçon à terre.

Et une rafale lui lacère le dos.

Un instant tétanisé de douleur et de stupeur, Mahmoud pousse le garçon dans l’ouverture, s’agenouille, se retourne et riposte en tuant son agresseur qui avait surgi par derrière le bâtiment de la gare.

Mahmoud traverse à son tour l’ouverture et indique à l’enfant le grillage extérieur. Les deux courent, mais Mahmoud, à grand-peine.

A mi-chemin, Mahmoud s’arrête, essoufflé, bavant du sang. Le garçon aussi s’est arrêté.

Mahmoud lui intime l’ordre de s’aplatir. Il sort une grenade, la dégoupille et la jette en direction des barbelés.

La grenade explose, cisaillant les barbelés.

Mahmoud s’affale sur le côté, puis sur le dos. Il a le regard vitreux. Il parvient à sourire à l’enfant agenouillé à ses côtés et lui indique du doigt l’ouverture.

Mahmoud :

- Run, run away ! quick… Go ! Go ! (Sauve-toi !)

Le garçon le regarde longuement une dernière fois et se sauve dans l’obscurité.

 

   Le lit de Mahmoud et Sarah, chiffonné et vide.

C’est la nuit. Puis, le matin se lève. Le jour passe, et vient la seconde nuit. Enfin, le nouveau matin se lève sur le lit toujours vide et chiffonné.

On entend la porte de la maison qui s’ouvre.

On entend une voix de femme.

Sarah :

- Nous sommes revenus.

Silence, bruit de pas.

On entend Sarah :

- Mahmoud, tu m’as entendue ?

Le bas du corps de Sarah entre dans le “champ” du lit. Elle reste immobile. On la devine perplexe.

Sarah sort du cadre.

On voit toujours le lit et on entend Sarah qui cherche précipitamment dans toute la maison. On la devine inquiète. On l’entend s’adresser à Ali, lui demander d’aller voir chez les voisins; non ! elle ira elle-même; plutôt, elle va téléphoner à Abou Kassem, c’est son meilleur ami, il saura…; mais il avait affirmé qu’il ne sortirait pas de la maison; où est-il allé ? où a-t-il mangé ? les plats qu’elle avait préparés sont tels quels dans le frigo; Mahmoud, Mahmoud, tu te caches, n’est-ce pas ! arrête, c’est pas amusant, ce jeu ! Mahmoud !… Allo, Abou Kassem ?

Mahmoud est allé chez toi ?… Oh non ! Abou Kassem… son sac est vide ! Il a tout pris ! Dis-moi la vérité, il avait une mission ?

Entre-temps, le petit Ali est venu s’asseoir sur le lit de ses parents. Il caresse le coussin de son père. Puis, il y repose la tête.

 

   Dans la salle de séjour, Sarah, triste et l’air accablée, est assise en compagnie d’un homme à la cinquantaine.

L’homme :

- Nous avons la certitude qu’il n’a pas été kidnappé ni fait prisonnier par ces fils de pute de sionistes. Mais par ailleurs, sept jours ont passé et aucun organisme militaire ou autre n’a encore revendiqué son assassinat…

Sarah :

- Abou Kassem, ils peuvent garder secret le fait qu’il est prisonnier…

Abou Kassem :

- Pourquoi ?

Sarah :

- Je ne sais pas, je ne sais pas… Peut-être pour le monnayer contre un Israélien prisonnier ! Ou bien, ils vont demander une rançon.

Abou Kassem :

- Sarah, autant que toi, j’aurais aimé qu’il soit sain et sauf. Mais mon expérience me dit que ce n’est pas le cas.

Sarah, pleurant :

- S’il est mort, je veux voir une dernière fois son corps. Je dois l’enterrer…

Abou Kassem la laisse assouvir son désespoir. Il se lève et va vers la fenêtre. Après quelques instants, il demande :

- Je sais que Mahmoud  et toi, vous vous entendiez bien. Mais est-ce que vous avez eu une dispute dernièrement, un désaccord ?

Sarah, refoulant ses larmes, très digne :

- Mahmoud et moi, nous nous aimons. Et notre complicité est le gage de notre couple. Non, Mahmoud n’a pas fait de fugue. Parce que tout va très bien entre nous. Et puis, il adore Ali. Non, Abou Kassem, cherche ailleurs…

Abou Kassem hoche la tête.

 

   Des adolescents en tenue de milicien collent sur les murs de la ville les affiches portant la photo de Mahmoud et l’inscription « Martyr de la Cause ».

 

   Sarah se morfond dans son lit, la nuit.

Elle gémit, pleure, écarte les jambes comme si elle allait accoucher. Elle presse son ventre des deux mains et étouffe un cri. Elle halète, transpire, délire…

 

   Sarah est au téléphone.

Elle s’adresse à un interlocuteur quelconque.

Sarah :

- Ali et moi partons à Jérusalem. Je l’emmène à la mosquée Al Aqsa. Je sais que c’est ce que Mahmoud aurait aimé faire… 

 

(en sous-titre : « Jérusalem, l’an 2008 »)

   Sur le parvis du Mur des lamentations, des soldats israéliens gardent les issues.

Un septuagénaire de belle prestance, flanqué d’une escorte impressionnante de gardes du corps et d’assistants s’éloigne du mur.

Le groupe traverse la ceinture de militaires.

Le septuagénaire repère un petit garçon et une femme (Ali et Sarah) marchant hâtivement, loin devant le groupe.

Il semble écouter ce qui lui débite l’une de ses assistantes, mais son regard reste fixé sur le petit garçon.

Ali, lui, se retourne fréquemment pour regarder ce vieil homme important.

Le vieux dignitaire presse subitement le pas. Toute l’escorte suit son rythme.

Le vieux monsieur est sur le point de rejoindre la femme et le garçon. Il donne des ordres au chef des gardes pour qu’on ne les importune pas.

Sarah, impressionnée par l’homme et son escorte, s’arrête, abritant son fils contre elle.

Le vieux monsieur s’arrête, l’escorte aussi, qui entoure presque Sarah et Ali.

Le vieux dignitaire observe longuement Ali.

Le vieux dignitaire :

- C’est ta maman ?

Ali affirme en hochant la  tête.

Le vieux dignitaire :

- (à Sarah) Bonjour, madame. (à Ali) Ton père, il n’est pas avec vous ?

Sarah serre un peu plus Ali contre elle et dirige sa main libre vers son sac en bandoulière. Aussitôt, l’un des gardes lui immobilise la main et lui ôte son sac; un autre s’interpose entre Sarah et le vieux dignitaire.

Le vieux dignitaire a un petit geste apaisant de la main à l’adresse des gardes.

Le vieux dignitaire (durement) :

- Que voulez-vous me montrer ?

Sarah :

- Une photo.

Pendant ce temps, le premier garde a retiré du sac de Sarah un papier plié en quatre. Il déploie la photo de Mahmoud (une affichette).

Avec désespoir et agressivité, Sarah la prend d’un coup sec et la brandit, la main tremblante.

Sarah :

- Voici son père, vous l’avez tué !

Le vieux monsieur contemple longuement, en silence, la photo de Mahmoud.

L’escorte est silencieuse; la perplexité a remplacé la dureté sur le visage de Sarah.

Le vieux monsieur ferme les yeux.

 

#Dans le camp de concentration nazi, on revoit le garçon juif agenouillé près de son sauveur.

Mahmoud agonise. Faiblement, il retire de sa poche une petite photo et la glisse dans la main de l’enfant.

L’enfant regarde la photo : c’est le portrait de Ali.

L’enfant fixe Mahmoud intensément.

Mahmoud parvient à sourire faiblement, puis ferme définitivement les yeux.

Le garçon juif a des larmes aux yeux.#

 

On voit le vieux dignitaire rouvrant les yeux.

Il s’accroupit devant Ali.

L’un des assistants se penche à l’oreille du vieux dignitaire.

L’assistant (en hébreu) :

- Monsieur le Premier ministre, votre rendez-vous…

On voit le Premier ministre de dos. Il a un geste sec de la main.

Le Premier ministre (en hébreu) :

- Eloignez-vous ! Tous !

Le Premier ministre (toujours de dos) relève la tête vers Sarah qui relâche son étreinte sur Ali, et regarde à nouveau Ali. Il pose lentement ses mains sur les épaules du garçon, puis le serre contre sa poitrine.

On voit le visage du Premier ministre. Ses yeux sont emplis de larmes.

 

   Le mur de séparation en Cisjordanie.

Des explosions, l’une après l’autre, le détruisent.

Les gravats, les moellons voltigent contre le ciel au ralenti…

Puis, des armes, des dizaines, des centaines d’armes, qui volent aussi, pour exploser au ralenti contre un ciel radieux.

 

© Johnny Karlitch - 2004

(Ce scénario libre de droits est à la disposition du cinéaste qui le réaliserait ou du créateur de BD qui le dessinerait) 



22/09/2011
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